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Le vrai sans filtre n’existe pas, c’est un faux-semblant.


Echange avec Peter Barrett


Peter Barrett est formateur, facilitateur conférencier et animateur d’évènements. Peter travaille sur le comportemental et les “soft skills” au sens large avec des sujets de prédilection autour de la prise de parole mais aussi l’esprit critique et l’éthique. J’ai la chance d’avoir rencontré Peter grâce à notre travail, plein de similitudes, il y a quelques années. Full disclaimer : nous travaillons toujours ensemble mais surtout, nous habitons désormais ensemble.

 

Marie : Une de tes spécialités est la prise de parole, c'est un "soft skill" essentiel mais pas évident à acquérir. Quelles sont les techniques que tu utilises en formation ?


Peter : Ce qui m’intéresse lorsque j'accompagne quelqu'un sur une prise de parole, c’est de savoir : Comment augmenter le niveau de conscientisation ? Comment verbaliser, para-verbaliser ou non-verbaliser un message ? En conscientisant ça, tu interroges : « est-ce que c’est vraiment toi ? Est-ce que c’est ça que tu veux projeter ? » J’adresse ces questions de manière légère mais ça peut toucher profondément les gens. Je ne dis pas « authentique » parce que c’est galvaudé, j’évite les terminologies trop entendues parce que je ne veux pas travailler avec des mots qui ont trop de poids et de connotation. Je ne veux pas associer la prise de parole avec l’idée d’un sans filtre absolu parce que parfois, l’authenticité peut être perçue comme le fait d’être sans filtre au détriment de soi-même et du sans filtre.

Mais le vrai sans filtre n’existe pas, c’est un faux-semblant.

Notre cerveau passe son temps à nous tromper sur ce qui est authentique. Si tu prends le travail de S. David, ce que tu exprimes est la réaction à un contexte, et c’est ancré dans une histoire qui n’a été ni retravaillée, ni analysée. Quand tu réagis d’une certaine manière, tu as donc l’impression d’être sans filtre, mais c’est en fait le résultat de plein de filtres.

Parfois, c’est compliqué à déterminer mais j’essaie de biaiser ça le moins possible et lorsque je travaille sur une prise de parole d'un dirigeant par exemple, je le fais méthodologiquement en décortiquant chaque partie de la com :

- l’aspect psychologique, en répondant à la question : "pourquoi ?"

- l’aspect structurel, jusqu’aux mots qui seront utilisés, en répondant à la question "quoi ?"

- et l’aspect corporel jusqu’à la respiration, en répondant à la question "comment ?"



M : Au-delà d'une prise de parole formelle (un discours, un pitch), comment peut-on aussi travailler sur sa communication et ses prises de parole au quotidien - par exemple en réunion ou encore lors d'une négociation ? Est-ce qu'il y a des techniques sur lesquelles on peut s'appuyer ?


P : Dans l’interpersonnel, on va retrouver des mécanismes de la prise de parole, notamment l'importance de prendre en considération son public. Par exemple les « empathy maps » ou encore les démarches « customer centric » sont très à la mode et ce sont des démarches utiles qu'il s'agisse d'un discours ou d'une prise de parole au quotidien. Tu es obligé de prendre en compte le public et c'est important de se poser les questions "qu’est-ce que je cherche à faire comprendre, à faire faire ?" Dans la communication interpersonnelle, il faut aussi comprendre des frustrations, des besoins, on va donc plutôt user de la dialectique, c’est-à-dire faire un échange qui a vocation à aller au bout de certains sujets.


Au-delà de ces techniques, le concept sur lequel je m'appuie énormément est celui de la congruence. Et ce que je vais chercher c'est la congruence entre ce que tu es, ce que tu dis et comment tu le dis. C’est une vision rattachée à la prise de parole mais la congruence reste un terme mathématique repris par le psychologue Carl Rogers dans les années 1950. Il avait un mode de dialectique ancré dans trois attitudes fondamentales du thérapeute : 1/ la congruence, 2/ la considération positive inconditionnelle et 3/ la compréhension empathique. C’est l’équilibre de ces attitudes décrites par le psychologue qui fonde une bonne communication interpersonnelle.

La considération inconditionnelle est l’idée selon laquelle on prend la personne là où elle est. Même si on a une opinion forte, on s’efforce d’avoir une considération positive inconditionnelle. Ça a un vrai intérêt intellectuel et c’est un bon moyen pour commencer à structurer des questions avec un interlocuteur. Pour dépasser des échanges improductifs, on va être à l’écoute pour prendre en considération le point d’origine d’une personne sur un sujet pour peut-être la faire changer d’avis mais au moins lui permettre de se révéler. C’est aussi une technique de débat qui s’appelle l’iron-maning (c’est l’opposé du straw man qui consiste à caricaturer la position de l’autre pour mieux la remettre en question). L’iron-maning vise non pas à convaincre le public mais l’interlocuteur et c’est ce qu’il y a de plus intéressant.

Convaincre des gens déjà convaincus, c’est assez simple. Convaincre des gens pas d’accord, ça c’est un challenge.

Pour appliquer cette approche, il faut d’abord établir avec la personne une structure de départ pour avoir une base commune qu’on pourra questionner.

Enfin, la compréhension empathique est la condition sine qua non pour ne pas tomber dans la manipulation et ne pas sortir de la congruence. La considération vise à aider à comprendre l’état émotionnel qui amène l’autre.

L’approche de Carl Rogers est à la base une posture thérapeutique mais à mon sens, elle peut s’appliquer à n’importe quelle situation interpersonnelle.



M : Pour rester sur la congruence, quand tu es manager ou dirigeant·e d'entreprise, comment faire quand tu ne te reconnais pas dans les valeurs de ton entreprise ? Surtout quand les valeurs finalement sont sensiblement les mêmes d'une entreprise à l'autre et qu'elles ne sont pas les tiennes, comment rester congruent ?


P : Derrière chaque propos et chaque valeur, il y a une partie de nous. Moi je trouve ça beau. Et cette partie fait écho à notre capacité empathique et c’est à travers ce prisme que les acteurs, du moins les bons acteurs jouent leur rôle. Le travail d’un acteur, c’est de se retrouver dans la peau de quelqu’un d’autre. C’est ce que je m’efforce à faire avec les dirigeants que j'accompagne : trouver cette partie de vous qui a goûté à ces valeurs, permet d’incarner les valeurs qu’on vous demande d’incarner. Mais il y a tout de même une limite : "et si j’ai bien réfléchi et si je n’ai pas envie d’incarner ces valeurs ?" Là, il n’y a pas de solution évidente, et je trouve que c’est une question qu’on devrait se poser. Les dirigeants devraient oser remettre en question les valeurs dans lesquelles ils ne se retrouvent pas, ou avoir le courage de partir. Avoir des différences est normal, ça fait partie du processus, mais il faut avoir le courage de se questionner et de prendre du temps dans ce processus pour rester congruent.


M : Très concrètement, est-ce qu'il y a d'autres questions essentielles à se poser pour travailler sur ses prises de parole ?


P : Derrière chaque propos et chaque valeur, il y a une partie de nous. Moi je trouve ça beau. Et cette partie fait écho à notre capacité empathique et c’est à travers ce prisme que les acteurs, du moins les bons acteurs jouent leur rôle. Le travail d’un acteur, c’est de se retrouver dans la peau de quelqu’un d’autre. C’est ce que je m’efforce à faire avec les dirigeants que j'accompagne : trouver cette partie de vous qui a goûté à ces valeurs, permet d’incarner les valeurs qu’on vous demande d’incarner. Mais il y a tout de même une limite : "et si j’ai bien réfléchi et si je n’ai pas envie d’incarner ces valeurs ?" Là, il n’y a pas de solution évidente, et je trouve que c’est une question qu’on devrait se poser. Les dirigeants devraient oser remettre en question les valeurs dans lesquelles ils ne se retrouvent pas, ou avoir le courage de partir. Avoir des différences est normal, ça fait partie du processus, mais il faut avoir le courage de se questionner et de prendre du temps dans ce processus pour rester congruent.



M : Est-ce qu'il y a une démarche générale que tu appliques quelle que soit les "soft skills" sur lesquels tu travailles ?


P : J’essaie de fonctionner avec beaucoup de subtilité et je propose à ceux avec lesquels je travaille d’avoir une vision d’équilibriste. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment je mets de moi et comment je mets de l’autre dans ce que je fais. J’utilise le "Yin" de la confiance en soi en le complétant avec le "Yang" qui est pour moi l’empathie. Je trouve que c’est important dans la communication en particulier mais dans tout comportement.

La confiance en soi déséquilibrée nous empêche de voir l’autre et l’effet qu’on a sur lui.

Elle permet d’aller plus vite, d’être plus fort, mais souvent au détriment d’une cohérence personnelle ou des autres. Je le vois beaucoup dans le monde de l’entreprenariat et ça m’inquiète beaucoup. À l’inverse, l’empathie est utile mais si on se noie dans le tout, on n’est plus rien.

On dit souvent que l’autre est une infinie inconnue mais on oublie qu’on est aussi une infinie inconnue. Et en même temps il faut avancer, on pourrait être dans la contemplation bouddhiste mais je crois qu’il faut aussi être dans le faire et pas uniquement dans la contemplation.




Merci Peter !




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